15 août 2007

Un homme à la mer
















Rongé par l’océan, notre brick avait sombré, emportant canots et bouées. Je dérivais, écrasé de soleil, les lèvres sèches, les yeux rougis, espérant un bidon rouillé, une planche où enfoncer mes ongles jusqu’à saigner.
Dans les fièvres, j’ai tant rêvé d’une plage où m’échouer, et puis ramper, ramper, une route, une autre ville, un autre port, et repartir toutes voiles dehors, sur un cotre, une frégate où flotterait ton pavillon.

Ambroise Louis Garneray, Le Naufragé. Musée des Beaux-Arts, Brest.

08 août 2007

Mon p'tit cinoche à moi # 2

Ratatouille et autres gourmandises
C’était à prévoir, je n'ai pas résisté à la tentation d'aller déguster Ratatouille, le dernier opus des studios Pixar, et je me suis régalé. Cette bobine est un émerveillement : clins d'oeil répétés au cinéma français, choix musicaux audacieux et bien entendu excellence graphique jusqu'aux plus infimes détails de forme, de cadrage, de mouvement, de couleur, avec une inventivité de tous les instants du grenier à la rue et de la cuisine aux égouts, des vues de Paris qui sont autant de déclarations d'amour, des scènes grouillant de rongeurs parfaitement maîtrisées et un mémorable plongeon dans l'eau de vaisselle ! Je me suis attendri, j'ai tremblé, j'ai beaucoup ri et même un peu pleuré (ah ! cette scène proustienne où l'arrogant critique culinaire retrouve le goût de la ratatouille que lui préparait sa maman...).

Ceci m'offre l'occasion de remettre à l'affiche de ma petite salle virtuelle quelques grands crus du cinéma culinaire, des moments de pur bonheur à redécouvrir sans délai.

Japonais jusqu'à la moelle, universel dans le propos, Tampopo de Juzo Itami (1986) offre, derrière l'histoire ordinaire d'une femme qui se bat pour faire revivre sa gargote à nouilles, un foisonnement de trouvailles explorant les mille et une facettes de notre rapport à la nourriture. Surprenant, débridé, sensuel, inoubliable.

Réfugiée dans une austère communauté luthérienne du Danemark, Babette consacre tout son argent à reconstituer en un seul repas le faste de la grande cuisine parisienne qu'elle avait bien connu. Inspiré d'une nouvelle de Karen Blixen, Le festin de Babette (Babettes Gaestebud - 1987) de Gabriel Axel élabore plan après plan un menu gastronomique où coeurs et âmes finissent par s'unir dans le plaisir partagé de la table.

Petite merveille méconnue, Big Night de Stanley Tucci (1996). En Amérique, la cuisine italienne de tradition n'est pas synonyme de succès commercial, au grand dam de l'irascible Primo, qui avec l'aide de son frère saisit l'occasion d'éblouir ses convives lors d'un banquet promotionnel en l'honneur du chanteur Louis Prima... Rarement le cinéma aura à ce point approché la réalité d'une cuisine, rarement un film aura donné une telle envie de faire ce métier. Dans toute sa lenteur et sa sobriété, la scène finale (l'omelette du dernier matin) est à classer parmi les moments magiques du septième art.

On a beau être le chef d'un prestigieux restaurant, la vie n'est pas facile tous les jours avec trois filles célibataires et rebelles à la maison. Dans Salé sucré (Yin shi nan nu - 1994), délicieuse comédie sentimentale et culinaire du taïwanais Ang Lee, Monsieur Chu va utiliser son art pour communiquer avec ses proches. Et au-delà, avec tous les cinéphiles gourmands de la planète...

Bon appétit !

05 août 2007

Musique pour mes funérailles

Nouvelle édition augmentée
Un jour je partirai en grande vacance, je glisserai paisiblement dans l’infini sommeil, je redeviendrai poussière dispersée par les vents. Et pour épargner à mes proches le supplice d’entendre une vague musique de circonstance accompagner mon grand départ, j’ai décidé de tout prévoir moi-même.
Je serai donc le seul DJ officiel de mes funérailles.
Il faudrait des jours et des nuits pour faire entendre toutes les musiques que j’aime. Mais le temps des vivants est compté.
Alors, j’ai choisi, tranché, sélectionné...

En guise d’intro, Déjà deux siècles sur l’album Cheyenne Autumn de Jean-Louis Murat.
Dans ses jeunes années, Chet Baker chantait The Thrill Is Gone.
La plus belle mélodie que je connaisse, c’est Astrakan Café par le trio de Anouar Brahem.
Away ‘aul away est un chant de marins voguant vers le grand large. Oh oui ! Le grand large…
Et puis une île. Peut-on rêver mieux que de trouver enfin Peace of Iona des Waterboys ?
Ou de Se mettre aux anges avec Murat encore ?
Magie des doigts sur les cordes... Sur leur miraculeux album Talking Timbuktu, Ali Farka Toure et Ry Cooder prouvent que le blues est enfant d’Afrique ; le morceau s’appelle Ai Du.
Quel bonheur de s’en aller Over the Rainbow avec Bim Sherman !
Et y revoir les visages des Passantes chantées par Brassens.
Dans Le Regard d’Ulysse de Théo Angelopoulos, il y a cette scène envoûtante où une statue de Lénine en pièces détachées descend le Danube sur une musique d’Eleni Karaindrou intitulée The River.
Je passerai la main dans tes cheveux, sur ton visage, puis je passerai la main, c’est joli comme formule, c'est Art Mengo.
Paris, début du XXe siècle : Erik Satie composait la Gnossienne n°1.
Dans son magnifique album testament, Johnny Cash transcende The Mercy Seat de Nick Cave and the Bad Seeds.
Apothéose de la chanson française, la Supplique pour être enterré sur la plage de Sète de Georges Brassens.
Today is grey skies, tomorrow is tears, we’ll have to wait till yesterday is here. J’aurais tant aimé écrire ça... Tom Waits l’a fait.
L’au-delà est fille de la pensée chante en wolof l’immense El Hadj N’Diaye ; juste une guitare et une voix pour Assaaman, extrait de Xel, album d’une absolue perfection.
Qui se souvient de Bill Deraime chantant l’apocalypse en noir et blues dans Tout le monde a gagné ?
Ne plus jamais entendre Landsdowne Road chanter Ireland’s Call, voila qui va vraiment me manquer.
Si je devais n’en choisir qu’une… The Pan Within de Mike Scott and the Waterboys, qui m’accompagne depuis tant et tant d’années.
Enfin, comme il se doit, Madredeus et Ainda, dernières images de Wim Wenders, de Lisbonne et de tout le reste.

Voilà, je m’aperçois qu’il manque encore des tas de gens que j’aime, surtout des jazzmen, mais aussi Maria Callas, Leonard Cohen, l’une ou l’autre rebel song irlandaise, un vrai tango…
Allez, je continue d’y penser et je fais mon possible pour ne pas défuncter tout de suite.

01 août 2007

Clandestin

Joli nuage
Au ciel de mes rêves
Je me ferai aviateur

Mélodie en femme majeure
Au phonographe de mon cœur
Je me ferai compositeur

Blanche héroïne
Au flux de mes veines
Je me ferai cambrioleur
Pour voler à tes lèvres
Le miel d’un baiser clandestin

Feu follet sur la plage
Au ressac de ma saison
Je me ferai corsaire

Cité interdite
Au fond de mon désert
Je me ferai contrebandier

Secrète amazone
Aux méandres de mon désir
Je me ferai conquistador
Pour voler à ton sein
Le lait d’un bonheur clandestin


Illustration : Antoine Wiertz. Rosine à sa toilette, 1865.
Musée de l’Art wallon, Liège.