28 mai 2007

Nuit d'orage à la rue Dansaert

C’était l’heure bleue dans ce bistrot.
Dans le brouhaha cosmopolite des rues branchées d’une capitale européenne un samedi soir, dans le mélange des langues et des accents, entre le vin, la bière et les accords d’un trio de jazz, c’était l’heure des questions sans réponse, des grands éclats de rire, des affirmations catégoriques auxquelles on n’est pas vraiment certain de croire, des confidences à cœur ouvert.
Il fut question de l’ambiguïté des sentiments, des barrières qui protègent et de celles qui parfois emprisonnent et qu’on n’ose pourtant pas faire tomber d’un coup de folie salvateur, de la beauté dont on doute, des regards qui ne se croisent pas, des chagrins qui nous hantent et du grand amour qui toujours se fait attendre.
Et puis éclata l’orage, brutal et rageur. La pluie battante transforma le caniveau en un furieux ruisseau de montagne, la chaussée en un lac tumultueux, semant la panique dans la fourmilière des fêtards, des touristes en troupeau et des couples en goguette.
Assis à quelques centimètres en bordure du déluge, et comme miraculeusement abrités par la fine toiture de verre qui recouvre la terrasse, nous ne reçûmes de toute cette pluie que quelques éclaboussures dans le coin des yeux.

25 mai 2007

Si j'étais...

Si j’étais un arbre, je serais un peuplier chétif et solitaire emprisonné dans le dédale d’un échangeur autoroutier.

Si j’étais un objet, je serais une roue de secours abandonnée à la rouille au fond d’un vieux garage.

Si j’étais un oiseau, je serais un fou de Bassan mazouté agonisant sur les galets poisseux d’une plage du Finistère.

Si j’étais une ville, je serais Brest, Le Havre ou La Rochelle.

Si j’étais un bateau, je serais l’épave d’une frégate anglaise envasée dans la crique inaccessible d’une île inconnue des Caraïbes ; le fût de mes canons offrirait un refuge à des poissons multicolores, silencieuses sentinelles de ma cargaison oubliée d’or et de pierres précieuses.

22 mai 2007

Rock around the crucifix

Voilà, c’est fait !
Malo vient de procéder à son grand décrassage de printemps. A l’occasion d’une bien sympathique soirée d’anniversaire, agrémentée de boissons fermentées à volonté, de bonne musique et de jolies femmes (hélas trop peu célibataires…), Malo s’est offert un mémorable voyage au bout de la nuit et au fond de la bouteille.

Et par cette sorte de magie qui à travers les brumes de l’alcool et la transe de la danse imprime en notre mémoire des images obsédantes, je me souviendrai longtemps de ce crucifix aux dimensions résolument militantes, accroché au mur de la salle paroissiale, dans le coin au-dessus de la table de mixage. Un vrai de vrai, le modèle full options, avec un christ à l'agonie, grimaçant et sanguinolent, que les reflets des spots balayant la piste de danse faisaient passer alternativement du vert au rouge, du bleu à l’orange, de l’or au magenta, en une explosion baroque qu’on aurait pu croire tout droit sortie d’un film de Fellini, tandis que sur la piste les danseurs poursuivaient leur déhanchement frénétique en reprenant en cœur avec la sono hurlante : it’s the final countdown, the final countdown…

21 mai 2007

Monsieur Rafa

Il a fait fort, le vieux !
The Man of the Match, comme on dit à Twickenham. Solide comme un roc en première ligne, féroce et imperméable en défense, le talonneur préféré de Malo a offert dimanche la Coupe d’Europe à son équipe des London Wasps grâce à deux lancers en touche de fin renard, allant même jusqu’à inscrire un essai personnel !
Parti en exil sportif en Angleterre, pays du rugby physique et obstiné, pour relancer une carrière pourtant déjà bien remplie, Rafael Ibanez au sommet de son art a conquis à 34 ans son premier trophée de club. En jaune et noir.
En attendant peut-être l’apothéose en bleu en octobre prochain…

19 mai 2007

Mes pauvres rimes en or

Au bord de la mer du Nord
La ville grise s’endort.
Sous le regard d’Ensor
Dans un bar du vieux port
Je noie dans l’alcool fort
Le chagrin qui me tord.

Le présent s’évapore,
Je me revois alors
Sapé comme un milord
Pour le bal du Rat mort
Emmener Eléonore
Aux lueurs de l’aurore
De la digue au vieux port
Et je revis encore
Nos furieux corps à corps.

Accord et désaccord
Tel était notre sort.
Dans la bise je sors
Et jette sans remords
Dans l’eau noire du port
Mes pauvres rimes en or.

15 mai 2007

Petite menteuse

Elle ment
A tout bout de champ, obstinément
Elle ment
A ses amis à ses amants
A son ombre sur le trottoir
A son reflet dans le miroir

Son pauvre cœur l’implore
C’est à toi que tu fais du tort
Elle reste sourde à ses appels
Etouffe la voix tout au fond d’elle

Mais elle ment mal, si mal
Ses omissions un peu bancales
Ses petites lâchetés intimes
Ses alibis à trois centimes
Ses belles promesses en l’air
Et ses amours imaginaires

Et toute emberlificotée
Dans sa propre toile d’araignée
Elle se retrouve à la merci
De n’importe quel oiseau de nuit

Petite menteuse
Est malheureuse

06 mai 2007

Conquistador

En souvenir d'une femme trop empressée









Il est deux façons de conquérir Machu Picchu.
L’une est de se rendre dans la ville la plus proche, y trouver les bureaux de la compagnie américaine où pour une poignée de billets verts on peut louer un hélico et son pilote. On se fait déposer au cœur des ruines de la cité inca, on en fait le tour en une après-midi, on prend quelques photos que l’on montrera fièrement à la famille et aux amis de retour au pays, et on remonte dans l’hélico.
L’autre est de se rendre dans la ville la plus proche, y trouver le vieil indien qui acceptera de guider un étranger vers le Temple du Soleil, partir avec lui au gré des chemins de terre qui sillonnent la plaine, se frayer à la machette une piste à travers des bandes de jungle étouffante, franchir des torrents sauvages au prix de détours de plusieurs jours, reprendre des forces dans quelque village isolé au pied de la cordillère, voir les yeux des enfants briller du souvenir de l’eldorado perdu, puis affronter le froid et la rocaille des sentiers andins jusqu’à découvrir la ville sacrée à l’heure où la brume du matin se déchire sous les premiers feux du soleil.
Toujours je préférerai la seconde voie, même au risque d’arriver trop tard et de trouver la place déjà occupée par d’autres, même au risque de ne pas arriver du tout.
Car, si de la conquête on enlève la quête, il ne reste que…

04 mai 2007

Melody les yeux ouverts

Trop d’années passées à arpenter sans fin les couloirs obscurs de sa prison intérieure ont affaibli les yeux de Melody. Immergée à présent dans le chaos des lumières du monde, Melody baisse les paupières, détourne le regard.
Mais le jour viendra où ses pupilles auront appris à affronter la lueur nue du monde, à apprivoiser sa laideur et sa beauté, à vaincre ses éblouissements. Alors, les yeux enfin grands ouverts, Melody verra son chemin s’ouvrir devant elle et s’éloignera, conquérante et fière, vers l’horizon de ses rêves.

Et moi, je resterai là, immobile et impuissant dans l’inexorable entrave de mes propres chaînes, la gorge nouée et le cœur serré de n’être rien de plus pour elle qu’un ami qui lui veut du bien.