28 mars 2008

Pour Chantal et Hugo

C’est un bien curieux hasard qui vous a fait quitter ce monde à quelques heures d’intervalles et vous a réunis tous deux sous les feux de l’actualité au terme de vos vies pourtant si différentes.
De chacun de vous, je garde le souvenir d’un visage. Hugo, le visage à la fois plein d’assurance de l’homme qui a traversé la vie sans regretter ni renier aucun de ses choix, et le regard vacillant du vieillard sentant la maladie ronger ses dernières facultés. Chantal, le visage détruit par l’esthésioneuro-blastome que tu avais librement choisi d’exposer au regard de tous, et le sourire rayonnant des photos de tes jeunes années.
De vous deux, je garde le souvenir de ces pages et émissions spéciales que les media vous ont consacrées. Hugo, pour l’imposante œuvre que tu nous lègues ; Chantal, pour ton inébranlable ténacité face à l’autisme intellectuel et législatif de la France officielle.
Vous ne l’aurez pas vu, mais dans vos pays respectifs, votre décès a suscité de bien singulières réactions. En France, est-ce la proximité du désaveu reçu aux municipales qui amena le président Sarkozy et ses courtisans à tenter de se reconstruire une image d’hommes d’état en réaffirmant leur opposition à toute loi sur l’euthanasie ? Chantal, toi qui a mis toutes tes dernières forces dans ce combat pour la dignité de celles et ceux qui viendront après toi, tu aurais sans doute surmonté ce nouveau revers comme tu avais surmonté la précédente réponse du président de la République qui te proposait… un nouvel avis médical ! En Belgique, est-ce la proximité de la fête de Pâques qui amena le cardinal Danneels à se sentir obligé de rappeler publiquement quelques préceptes de morale catholique ? Hugo, toi qui as si souvent pourfendu le pouvoir de l’Eglise dans ta terre natale et lui a radicalement tourné le dos, tu aurais certainement apprécié l’incongruité de ces déclarations.
L’Eglise et la République unies dans l’apologie du calvaire, contre la dignité humaine : serions-nous donc retombés si loin en arrière ?
Par-delà la mort, le deuil de votre départ porte inévitablement l’empreinte de lois si différentes dans vos pays respectifs. Hugo, ton choix de mourir selon les dispositions de l’arsenal législatif belge a naturellement amené les média à évoquer avec respect et retenue les circonstances de ton décès pour mieux rappeler ton inestimable héritage littéraire et artistique. Chantal, ton choix de mourir hors du cadre de la loi française a entraîné un acharnement judiciaire allant jusqu’à disséquer ton corps meurtri à la recherche de quelque indice de mort non naturelle. Sache-le cependant, innombrables sont ceux qui condamnent cette indignité de l’état au regard de la dignité de ton choix.
Chantal et Hugo, de votre passage parmi nous restera la trace de deux êtres qui chacun à leur manière ont fait voler en éclats tabous et conventions, l’un maître de son œuvre, l’autre de son image, tous deux de leur destin.
Où que vous soyez aujourd’hui, vous êtes libres, libres parfaitement, libres infiniment, et pour cela, pour cela précisément, vous êtes toujours des nôtres.

2 Comments:

Blogger Bdes said...

C'est bien beau ce que tu as écris là. Tout simplement.

Je m'en vais l'envoyer à certains amis qui, je le sais, seront également touchés. Au coeur et à la raison.

Amicalement,

Jean Th.

28 mars, 2008 21:27  
Anonymous Anonyme said...

Merci à toi pour cet hommage touchant.
Myriam

31 mars, 2008 07:33  

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