30 septembre 2006

Ailleurs

Océan figé d’herbe gelée, le sol craque mollement sous mes pas. A demi enfoui au pied d’un buisson d’épines, un éclat de couleur attire mon regard, un œuf rouge et or au masque de clown. Au loin, étouffée par la brume ouatée gorgée de neige, la faible lueur d’un campement nomade dans la toundra. Une bougie. La coquille qui se fendille au creux de ma main. Le phare d’Alexandrie. Collé à mon oreille, l’œuf rouge et or au masque de clown, tout chaud, bruisse de l’agonie des vagues au roc des falaises, vibre du parfum de l’océan.
Mars, photographiée en janvier 2004

29 septembre 2006

Tentative d'homicide

Sacré bon sang ! On a voulu m’occire, me porter un coup fatal. J’en ai la preuve : l’arme du crime. Avec le nom de la coupable écrit dessus ! Ladite arme se présente sous la forme d’un parallélépipède (205 x 140 x 15) constitué d’environ 180 feuillets de papier reliés avec précision et presque entièrement recouverts de caractères d’imprimerie. Sur la face avant apparaissent très lisiblement les inscriptions suivantes : Amsterdam, Yun Sun Limet, Editions de l’Olivier. J’ai rangé la chose dans ma bibliothèque aux côtés d’autres objets fort semblables.
A la première lecture, l’objet m’étant apparu comme une machine infernale brandie à la face des quadragénaires, cruel miroir de leurs échecs, j’ai caressé l’idée d’obliger l’éditeur, par voie de justice, à faire figurer en couverture la mention Roman vivement déconseillé aux hommes de quarante ans et plus, particulièrement ceux vivant dans la nostalgie d’un amour manqué.
Mais à bien y réfléchir, l’objet n’est pas une arme de destruction massive visant aveuglément l’ensemble des quadragénaires désamourés, mais bien une arme exclusivement destinée à attenter à ma vie à moi, et à elle seule. Cette petite ville où commence l’histoire, n’est-ce pas ma petite cité paisible des bords de Meuse ? Et ces amours inavouées, ces fuites, ces renoncements, ces lâchetés ne sont-ils pas des épisodes de ma propre vie ? Et ces phrases que j’ai dites ou pensées presque mot à mot… Comment diable a-t-elle su ?
Oh, bien sûr, d’autres détails « ne collent pas » : je ne suis pas musicien, je n’ai pas été moisir dans un trou perdu des USA, et encore moins traversé l’Atlantique sur un cargo. Subterfuges que tout cela ! La coupable est habile à brouiller les pistes. Mais le doute n’est plus permis. Derrière le masque d’un personnage prétendument fictionnel, c’est ma vie à moi, et sa triste litanie d’amours non écloses, qui est exposée là. Et en privant ledit personnage de tout espoir de rédemption, c’est donc bien moi que la criminelle cherchait à faire trépasser. CQFD.
Que la diablesse sache cependant que son crime presque parfait a échoué. Et que du haut du viaduc d’où j’allais me jeter après avoir achevé la lecture du parallélépipède, le vent du nord, cher ami de toujours, m’a soufflé l’idée de dénoncer publiquement l’infâme machination.
Voilà qui est fait.

Trêve de parano. Amsterdam est un sacré bon roman, certes moins audacieux que Les candidats, mais tout aussi solidement charpenté. Malgré une intrigue un peu forcée et un dénouement assez convenu, on appréciera la maîtrise d’une écriture laissant affleurer les émotions dans chaque repli du quotidien. Un roman dont on ne sort pas indemne, et qui aide pourtant à survivre… A lire sans plus attendre.
Amsterdam, de Yun Sun Limet, aux Editions de l’Olivier.