01 novembre 2007

La Meuse en son lit naturel

Du plus loin que je me souvienne, c’est à chaque fois un émerveillement. Ici, on dit le chômage de la Meuse, par référence aux métiers de la batellerie contraints à l’inactivité pendant les quelques semaines où le cours du fleuve est ramené à son débit naturel afin de permettre les travaux de réfection des berges, barrages et autres ouvrages.
J’ai appris depuis que ce mot aux syllabes traînantes évoquait un destin bien plus sombre pour des millions de gens. Mais pour qui a passé son enfance sur les rives de cette partie du cours de la Meuse, le chômage reste une parenthèse enchantée, une brèche dans le temps, livrant à nos regards mille secrets habituellement immergés sous la surface lisse et paisible du fleuve.
C’est un peu comme si la mer était soudain devenue toute proche, c’est un peu comme à marée basse, on descend fouler le lit du fleuve, sauver quelques poissons pris au piège, cueillir des écrevisses désemparées, on bute sur les reliques de notre société du tout à jeter : bouteilles, vieux pneus, plastiques et ferrailles, vélos rouillés, poussettes de supermarché… Et à chaque fois, on redécouvre des cascatelles d’eaux vives, des roches massives comme échouées au milieu de fleuve, l’embouchure de ruisseaux insoupçonnés jaillissant des quais de béton, les dunes de vase en amont des écluses, les hauts-fonds naturels dans les passes droites des îles, parfois la trace fugace de siècles oubliés.
Et quand tout se retrouve à nouveau englouti sous quatre mètres d’eau, il ne nous reste qu'à nous bercer du souvenir de ces images anachroniques et éphémères. Et à attendre la prochaine fois.