04 août 2006

Le galet de Semois

J’ai toujours au fond d’une poche ce galet de Semois, cet œuf aux marbrures roses et mauves, poli par mille années de noyade, que j’avais ramassé un matin au pied du Tombeau du Géant. Nous avions traversé à gué, les godasses à la main, les pantalons relevés jusqu’aux genoux, bien décidés à terrasser ce géant déjà mort ; puis avancé en file indienne à travers la prairie, mâchonnant de grandes herbes gorgées de rosée âcre, affolant taons, guêpes et moustiques jusqu’à cet endroit à mi-pente où la prairie s’efface, et avec elle le ciel, le soleil et le monde autour, et dans un silence solennel pénétré dans le mausolée obscur d’un alignement d’épicéas, glissant sur le sol élastique et stérile, la main serrée sur le caillou tout chaud au fond de ma poche, dernier filin me retenant au monde des vivants.